Inanna, éclat d’or blanc

Après plus de 10 ans, j’ai ressorti de ma bibliothèque Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés. J’ai aimé la bribe de l’un de ses poèmes et j’aurais souhaité pouvoir en lire davantage… Mais il s’agit d’une publication privée. Je me contenterai donc de cet extrait.

 » Il est fréquent dans les contes de voir le personnage principal découvrir une étonnante vérité ou découvrir un trésor en tâtonnant dans le noir. Rien ne fait mieux ressortir la lumière, la merveille, le trésor, que l’obscurité. « La nuit obscure de l’âme » est devenu une sorte de cliché dans certains domaines de la culture. La récupération du divin s’effectue dans l’obscurité de l’Hadès ou de « là-bas ». La lumière du retour du Christ contraste avec le crépuscule de l’enfer. En Asie, la déesse du soleil Amaterasu jaillit dans l’obscurité derrière la montagne. Inanna, la déesse sumérienne, sous sa forme liquide, « se change en un éclat d’or blanc lorsqu’elle s’étend dans la trace fraîche d’un sillon de terre noire »*. Dans les montagnes du Chiapas, on dit que chaque jour, « le soleil jaune doit faire un trou, en la brûlant dans le noir de la huipil -la blouse- pour s’élever dans le ciel ». « 

* Extrait du poème « Come Cover Me with your Wildness », copyright 1980, C. P. Estés. Rowing Songs For the Night Sea Journey ; Contemporary Chants (publication privée 1989). 

A propos des « ME » [sumérien]

L’Hymne second à Inanna parle des « ME » (prononcé [mɛ]. Samuel Noah Kramer (assyriologue américain, spécialiste de Sumer et de la langue sumérienne, né en 1897 et mort en 1990)  traduit ces me par « lois divines ». Cependant il s’agit d’un concept complexe qu’il explique dans son livre L’Histoire commence à Sumer (éditions Champs Histoire, 2009. Pages 127-129). Je cite :

[…] Pour expliquer la marche et le gouvernement de l’univers, les philosophes sumériens avaient recours non seulement à des personnalités divines, mais aussi à des forces impersonnelles, à des lois et règlements divins, les me. Ce mot est attesté dans un grand nombre de documents : on constate notamment que des me président au devenir de l’homme et de sa civilisation. L’un de nos vieux poètes sumériens a même jugé à propos, au cours d’un mythe, de nous dresser le catalogue de tous les me qui concernent cette dernière. C’est en somme la première analyse connue des éléments de la civilisation. Notre auteur en énumère environ cent. Mais dans l’état actuel du texte, une soixantaine seulement nous sont intelligibles ; un certain nombre d’ailleurs, représentés par des mots mutilés et sans contexte explicatifs, ne nous livrent qu’une vague idée de leur sens réel et total. Mais il en reste assez pour que nous nous rendions compte de ce que les Sumériens entendaient par « la civilisation et ses éléments ». Ces derniers sont avant tout des institutions, certaines fonctions de la hiérarchie sacerdotale, des instruments du culte, les comportements de l’esprit et du cœur et différentes doctrines et croyances.

En voici la liste, du moins dans ses parties les plus intelligibles, et suivant l’ordre choisi par l’auteur sumérien :

  1. La Souverainté
  2. La Divinité
  3. La Couronne Sublime et Permanente
  4. Le Trône royal
  5. Le Sceptre sublime
  6. Les Insignes royaux
  7. Le sublime Sanctuaire
  8. Le Pastorat
  9. La Royauté
  10. La durable « Maîtresseté »
  11. La Dame divine (1)
  12. L’Ishib (1)
  13. Le Lumah (1)
  14. Le Gutug (1)
  15. La Vérité
  16. La Descente aux Enfers
  17. La Remontée des Enfers
  18. Le Kurgarru (2)
  19. La Girdabara (2)
  20. Le Sagursag (2)
  21. L’Étendard-des-Batailles
  22. Le Déluge
  23. Les Armes (?)
  24. Les Rapports sexuels
  25. La Prostitution
  26. La Loi (?)
  27. La Calomnie (?)
  28. L’Art
  29. La Salle du culte
  30. L' »Hiérodule du ciel »
  31. Le Gusilim (3)
  32. La Musique
  33. La Fonction d’Ancien
  34. La Qualité de Héros
  35. Le Pouvoir
  36. L’Hostilité
  37. La Rectitude
  38. La Destruction des Cités
  39. La Lamentation
  40. Les Joies du cœur
  41. Le Mensonge
  42. Le Pays rebelle
  43. La Bonté
  44. La Justice
  45. L’Art de travailler le bois
  46. L’Art de travailler les métaux
  47. La Fonction de Scribe
  48. La Profession de forgeron
  49. La Profession de corroyeur
  50. La Profession de maçon
  51. La Profession de vannier
  52. La Sagesse
  53. L’Attention
  54. La Purification sacrée
  55. Le Respect
  56. La Terreur sacrée
  57. Le Désaccord
  58. La Paix
  59. La Fatigue
  60. La Victoire
  61. Le Conseil
  62. Le Cœur troublé
  63. Le Jugement
  64. La Sentence du juge
  65. Le Lilis (3)
  66. L’Ub (3)
  67. Le Mesi (3)
  68. L’Ala (3)

Ce « bilan de la civilisation », malheureusement fragmentaire, nous a été transmis dans un mythe relatif à la déesse Inanna. Au cours de ce récit, l’énumération des me était répétée quatre fois, ce qui a permis, en dépit de nombreuses lacunes dues au mauvais état des tablettes, d’en reconstituer près des trois quarts.

(1) Dignité sacerdotale.

(2) Sorte d’eunuque, inverti ou asexué, qui jouait un certain rôle dans la mythologie ou telles parties du rituel.

(3) Instrument de musique.

[…]

histoire commence a sumer kramer

Hymne à Inanna, Tempête de Tonnerre Fracassant

Je poursuis la traduction (de l’anglais vers le français) partielle du livre de Diane Wolkstein et Samuel Kramer, Queen of Heaven and Earth, her stories and hymns from Sumer. Voici le second des sept hymnes à Inanna. L’adaptation de Wolkstein se base en partie sur la thèse de doctorat de David Reisman, présentée au Département Oriental de l’Université de Pennsylvanie (1969), intitulée The Sumerian Royal Hymns ainsi que sur le livre From Poetry of Sumer de Samuel N. Kramer.

Pour lire l’Hymne premier à Inanna : Sainte Prêtresse du Ciel, c’est ici !

Extrait des Sept Hymnes à Inanna. Hymne second : Tempête de tonnerre fracassant

Fière Reine des Dieux de la Terre, Suprême Parmi les Dieux des Cieux,

Tempête de Tonnerre Fracassant, tu verses ta pluie sur toutes les terres et tout le peuple.

Tu fais frémir les cieux et trembler la terre.

Grande Prêtresse, qui peut apaiser ton cœur troublé ?

 

Tu brilles comme l’éclair sur les montagnes ; tu lances tes brandons d’un bout à l’autre de la terre.

Ton commandement assourdissant, sifflant comme le Vent du Sud, sépare les hautes montagnes.

Tu piétines le rebelle tel un taureau sauvage ; les cieux et la terre tremblent.

Sainte Prêtresse, qui peut adoucir ton cœur troublé ?
Ton cri effroyable provenant des cieux dévore ses victimes.

Ta main frémissante provoque la chaleur de midi planant au-dessus de la mer.

Ta traque nocturne des cieux rafraîchit la terre par sa sombre brise.

Sainte Inanna, les rives débordent avec les crues de ton cœur…

 

Au septième jour lorsque le croissant de lune atteint sa plénitude,

Tu te baignes et asperges ton visage avec l’eau sacrée.

Tu couvres ton corps des longs vêtements en laine de la royauté,

Tu attaches combat et bataille à ton flanc ;

Tu les noues à ta ceinture et les laisses reposer ;

 

En Eridu tu as reçu les ME* du Dieu de la Sagesse,

Le Père Enki t’a présentée les ME* en son saint sanctuaire d’Eridu.

Il a placé la royauté et la divinité dans tes mains.

 

Tu gravis les marches jusqu’à ton haut trône.

En toute majesté tu t’y assois

Avec ton époux bien-aimé, Dumuzi, à tes côtés.

 

Les dieux du pays, désireux d’entendre leur destinée, viennent devant toi.

Les dieux des cieux et de la terre s’agenouillent devant toi.

Les créatures vivantes et le peuple (de Sumer) viennent devant toi.

Le peuple (de Sumer) qui parade devant toi

Est stoppé par ton regard,

Et tenu sous ton saint joug.

 

* Note : les « ME » peuvent être traduits par « lois divines » bien que le concept soit plus complexe. Lire l’article en lien à ce sujet. 

 

Enki

Inanna

Impression réalisée à partir d'un sceau en marbre datant de ma période Uruk-Jamdat-Nasr, 3200-300 avant JC. The National Museum, Berlin. Photo © TIME/Life books.

Impression réalisée à partir d’un sceau en marbre datant de la période Uruk-Jamdat-Nasr, 3200-300 avant JC. The National Museum, Berlin.

En faisant un peu de ménage dans mes fichiers, j’ai retrouvé cette traduction commencée en 2010 (!). Je l’avais abandonnée, doutant de ses sources. Depuis, je me suis intéressée à l’Histoire Sumérienne, piochant dans les travaux d’assyriologues et autres historiens de l’Orient Ancien. À la relecture du texte en question, je me suis rendue compte que ses informations étaient tout à fait pertinentes. J’ai donc achevé sa traduction pour vous la partager !

La Déesse Inanna

 » Mon père m’a donné les cieux,

m’a donné la terre,

Je suis Inanna !

Le trône du Roi, il m’a donné,

Le trône de la Reine, il m’a donné,

La conduite de batailles et des attaques, il m’a donnée,

La tempête, il m’a donnée,

L’ouragan, il m’a donné !

Les Cieux, il a placé telle une couronne sur ma tête,

La terre, il a placé tels des souliers à mes pieds,

D’une robe sacrée, il a enveloppé mon corps,

Un sceptre sacré, il a placé entre mes mains.

Les dieux sont des moineaux, je suis un faucon. »

Ses Noms : Inanna (I-nanna, Reine Lune) – Inana – Inninna – Innin – Ninanna – Nin-me-sa-ra.

(Mésopotamienne : Sumérienne) Grande Déesse de l’amour, de la guerre, de la fertilité et de l’infinie variété ; Déesse patronne du panthéon Sumérien. (Elle correspond à l’Ishtar Babylonienne / Akkadienne).

Inanna est à l’origine la déesse de la période de stockage, qui, chaque année, épouse rituellement Damuzi, le dieu de la période des récoltes. Ses attributs sont si nombreux, si variés, et souvent, si contradictoires, qu’elle est probablement une fusion de plusieurs déesses antérieures.

La Danse des Sept Voiles, à l’origine, était la Descente d’Inanna dans le Monde-d’En-Bas, le royaume de sa sœur Ereshkigal, où elle s’est dénudée au fur et à mesure qu’elle traversait les sept portes. Elle a tout d’abord retiré sa couronne, puis ses boucles d’oreille, ensuite son collier,  son pectoral, sa ceinture ornée de pierres d’enfantement, puis ses bracelets et finalement sa robe.

Aucun acte de procréation n’a eu lieu sur terre lorsque Inanna était dans le Monde d’en Bas.

Lorsqu’elle a découvert que son seul moyen de retour était d’échanger sa place avec quelqu’un d’autre, elle a livré Damuzi. Le temps passé dans le Monde d’en Bas par Inanna est un mythe du cycle lunaire, le temps passé par Damuzi est un mythe des saisons.

Inanna figure dans différents mythes et épopées, dont l’épopée de Gilgamesh. Elle rend ivre Enki et le dupe pour qu’il lui accorde nombre de ses attributs et pouvoirs. Dans le mythe de « l’Élévation d’Inanna », Enki, An et Enlil donneront tous leurs pouvoirs à Inanna, faisant d’elle la Reine de l’Univers. Inanna est une femme fatale dont les amants semblent toujours échouer. Elle est impatiente, impétueuse et exigeante. Gilgamesh a risqué la mort lorsqu’il a repoussé ses avances, la comparant à une porte arrière qui laisse entrer le froid dans la maison.

Elle régit : l’amour, la guerre, la fertilité, la pluie, les prostituées, les éclairs, le tonnerre, les larmes, les réjouissances, l’inimitié, l’équité, les étoiles, les planètes, la laine, le grain, le monde naturel.

Titre : Notre Dame – Reine de l’Univers – Maitresse des Cieux – Reine des Cieux – Dame d’Uruk et Nineveh – L’Entrepôt (ndlt : à grains) – Protectrice des Catins – Reine Lune – Nin-me-sa-ra, Dame aux Innombrables Fonctions.

« Importuner, insulter, railler, profaner – et vénérer – sont tes domaines, Inanna.

Bassesse d’esprit, calamité, chagrin d’amour – la joie et la bonne chère – sont tes domaines, Inanna.

Frémissement, effroi, terreur – émerveillement et gloire – sont tes domaines, Inanna. »

Famille : Inanna est la fille de Nanna, sœur d’Utu, d’Ishkur et d’Erishkigal. Elle est parfois considérée comme la fille d’An.

Planète : Mars – Moon – Uranus – Vénus (tout à la fois, l’étoile du matin et du soir)

Étoile : Inanna est associée à Sirius.

Élément : terre – eau.

Symbole : étoile à huit ou seize branches ; un fagot de roseaux noué en trois endroits à l’aide de bandelettes ; rose ; arbre sacré ou totem en bois.

Chiffre : 15

Zodiaque : Vierge

Représentée : ailée, vêtue d’une jupe à plusieurs niveaux, portant une coiffe cornue et des armes dans leur étui ; nue, avec des bijoux ; debout au sommet d’une montagnes, accompagnée de lions ailés.

Animaux Sacrés : vache – lion – lionceau – dragon – Inanna est souvent accompagnée par Imdugud, l’oiseau tonnerre.

Plantes : rose – palmier dattier – céréales.

Véhicule : char tiré par sept lions – bateau fait de roseaux – lion

Géographie : Nineveh, Uruk (Irac) – Le temple d’Inanna était l’Eanna (Maison des Cieux), à Uruk

Nativité : le 2 janvier.

Invoquer Inanna pour : la liberté sexuelle – la fertilité – la guérison – les sortilèges d’amour – la magie sexuelle – l’amour passionnel – le pouvoir – l’abondance – la procréation – le combat, tout particulièrement contre le mal – tempêtes – pluie – confection – fertilité du monde naturel – détruire l’indestructible – faire périr l’impérissable – transaction équitable – une promotion – obtenir davantage de responsabilités au travail – protéger des entrepôts – provoquer ou éteindre des incendies – oracles de guerre ou de batailles – sortilèges pour l’argent (Ninanna)

Invoquer Inanna : à l’aube – dans des entrepôts (à grains/greniers) – là où les prostituées se baladent la nuit.

Pour rendre hommage à Inanna : lui faire des offrandes à l’aube.

« The great queen of heaven, Inanna, I will hail !

The only one, come forth on high, I will hail !

The pure torch that flares in the sky,

the heavenly light shining bright like the day,

the great queen of heaven, Inanna, I will hail !

Of her standing in the sky like the sun and moon,

known by all lands from south to north,

of the greatness of the holy one in heaven

to the Lady I will sing. »

J’ai tenté une traduction (si vous trouvez des erreurs, n’hésitez pas à me contacter) :

« La Grande Reine des Cieux, Inanna, Je saluerai !

L’Unique, avançant jusqu’au sommet, Je saluerai !

Le Pur flambeau qui illumine le ciel,

La Lumière céleste brillante comme le jour

La Grande reine des cieux, Inanna, je saluerai !

De sa position dans le ciel, comme le soleil et la lune,

connue de tous pays, du sud au nord,

de la grandeur de la sainte dans le ciel

pour la Dame, je chanterai. »

Les hymnes antiques cités ici ont été adaptés à partir de cette source : « The Treasures of Darkness : A History of Mesopotamian Religion », par Thorkild Jacobsen.

Lilith, qui es-tu ? Le contexte

Je souhaitais compléter l’article Lilith, qui es-tu ? et c’est chose faite. J’ai traduit la première partie du chapitre du X du livre de Raphael Patai, The Hebrew Goddess.

Je précise néanmoins que ce texte est bourré d’inexactitudes et d’un certain parti pris. Lilith enflamme l’imagination et c’est parfait ainsi, mais il est alors important de préciser la frontière entre fantasmes personnels, recherches et découvertes archéologiques.

Je ne dirai rien sur la première partie du texte parce que j’ai pu lire beaucoup d’avis différents sur les origines sumériennes supposées de Lilith et que ce n’est pas un sujet clair pour moi au jour d’aujourd’hui. Je cherche encore. En revanche, quand Raphael Patai identifie le personnage du haut relief en terre cuite comme étant Lilith, je préfère préciser qu’en réalité, nous n’en savons rien et que les spécialistes penchent plutôt pour une représentation d’Inanna / Ishtar (à lire, trois articles :  ici, ici et ). Quant à l’amulette d’Arslan Tash à laquelle l’auteur fait référence, il semblerait que celle-ci soit un faux.

Le Contexte

On trouve la première mention d’une démone, dont le nom est similaire à celui de Lilith, dans la liste royale sumérienne (1) datant approximativement de 2400 avant J.C. Elle déclare que le père du héros Gilgamesh était un démon Lilū. Le Lilū était l’un des quatre démons appartenant à la classe de vampire ou incube-succube. Les trois autres étaient Lilitu (Lilith), une démone ; Ardat Lili (ou servante de Lilith), qui visitait les hommes la nuit et portait des enfants fantomatiques ; et Irdu Lili, qui était sa contrepartie masculine, visitait les femmes et engendrait des enfants grâce à elles. À l’origine, ils étaient des démons de l’orage, mais à cause d’une erreur étymologique, ils en vinrent à être considérés comme des démons de la nuit (2).

L’épithète de Lilith était « la belle jeune fille », mais elle fut soupçonnée d’avoir été une prostituée et une vampire qui, une fois qu’elle avait choisi un amant, ne le laissait plus jamais partir, mais pour autant lui donner de réelle satisfaction. Elle était incapable de porter un enfant et n’avait pas de lait dans ses seins (3).

Selon l’épopée sumérienne, Gilgamesh et l’Arbre Huluppu (datant d’environ 2000 avant J.C.), Lilith (Lillake) construit sa maison dans le milieu de l’arbre Huluppu (saule, ndlt : là aussi pas de certitudes, certains parlent de peuplier, d’autres de palmier dattier) qui a été planté sur les rives de l’Euphrate aux premiers jours de la Création. Un dragon a établi son nid à la base de l’arbre, et l’oiseau-Zu a placé ses petits à sa couronne. Gilgamesh tue le dragon avec sa grosse hache en bronze, après quoi l’oiseau-Zu s’envole avec ses petits vers la montagne, et Lilith, frappée de terreur, détruit sa maison et s’enfuit vers le désert (4) .

Un haut-relief en terre cuite babylonien, approximativement contemporain du poème susmentionné, montre sous quelle forme Lilith était soupçonnée d’apparaître aux yeux humains. Elle est mince, bien formée, belle et nue, avec des ailes et des pieds de chouette. Elle se tient debout sur deux lions couchés dos à dos, ceux-ci flanqués de deux chouettes. Sur sa tête, elle porte une coiffe surmontée de plusieurs paires de cornes. Dans sa main, elle tient un anneau-et-un-bâton (5). Évidemment, ceci n’appartient à aucune démone inférieure, mais à une déesse qui dompte les animaux sauvages et, comme le montrent les chouettes sur le relief, règne sur la nuit. (Voir illustration 31.)

Durant les siècles suivant, la forme de Lilith changea encore. Une tablette datant du VIIème siècle avant J.C., découverte à Arslan Tash dans le nord de la Syrie, la montre semblable à une sphinge ailée, sur son corps, il est écrit, dans un dialecte phénicien-cananéen, ceci :

« Ô, Celle qui plane sur la chambre obscure,
Va-t-en tout de suite, O Lili ! »

Ces lignes sont une partie d’un texte incantatoire utilisé pour aider les femmes en couche (6) – parmi de nombreux autres existants depuis la période de l’empire assyrien au nouveau royaume babylonien – et elles montrent qu’à cette époque, le mythe de Lilith possédait toutes les caractéristiques majeures pleinement élaborés 2000 ans plus tard par le Judaïsme Kabbalistique.

1 Thorkild Jacobsen, The Sumerian King List, Chicago, 1939, p. 18, n. 37, et p. 90, n. 131.

2 Bruno Meissner, Babylonien und Assyrien, Heidelberg, 1925, ii.

3 Ebeling et Meissner, Reallexikon der Assyriologie, ii. 110

4 Samuel N. Kramer, Gilgamesh and the Huluppu Tree, Chicago, 1939, pp. 1-2. La même histoire est narrée dans la partie manquante de la tablette XII de l’épopée babylonienne de Gilgamesh, datant du VIIème siècle avant J.C. ; cf Alexander Heidel, The Gilgamesh Epic and Old Testament Parallels, Chicago, 1946, p. 94.

5 Emil G. H. Kraeling, Bulletin of the American Schools of Oriental Research 67 (Oct. 1937), pp. 16-18.

6 Cf. William F. Albright, Bulletin of the American Schools of Oriental Research 76 (Dec. 1939), p. 9.

Hymne à Inanna, sainte prêtresse du ciel

Je poursuis la traduction (de l’anglais vers le français) partielle du livre de Diane Wolkstein et Samuel Kramer, Queen of Heaven and Earth, her stories and hymns from Sumer. Voici le premier des sept hymnes à Inanna. L’adaptation de Wolkstein se base en partie sur la thèse de doctorat de David Reisman, présentée au Département Oriental de l’Université de Pennsylvanie (1969), intitulée The Sumerian Royal Hymns ainsi que sur le livre From Poetry of Sumer de Samuel N. Kramer.

Pour lire l’Hymne second à Inanna : Tempête de Tonnerre Fracassant, c’est ici !

Extrait des Sept Hymnes à Inanna. Hymne premier : La Sainte Prêtresse du Ciel.

Je dis, « Salut ! » à la Sainte qui apparaît dans les cieux !
Je dis, « Salut ! » à la Sainte Prêtresse du Ciel !
Je dis, « Salut ! » à Inanna, Grande Dame du Ciel !

Saint Flambeau ! Tu emplies le ciel de lumière !
Tu éclaires le jour à l’aube !

Je dis, « Salut ! » à Inanna, Grande Dame du Ciel !

Fabuleuse Dame des Dieux Annuna ! Couronnée des grandes cornes,
Tu emplies les cieux et la terre de lumière !

Je dis, « Salut ! » à Inanna, Première Fille de la Lune !

Puissante, majestueuse et rayonnante,
Tu brilles de mille feux le soir,
Tu éclaires le jour à l’aube,
Tu te tiens dans les cieux comme le soleil et la lune,
Tes merveilles sont connues tout à la fois en haut et en bas,
À la grandeur de la sainte prêtresse du ciel,
Pour toi, Inanna, je chante !

La Grande Déesse, par Libellune

La Grande Déesse, par Libellune

Inanna et l’Arbre Huluppu

« Inanna et l’arbre-huluppu » aurait sans doute du inaugurer ce blog. Il s’agit du tout premier texte qui parle de Lilith. Il serait sans doute plus juste de dire : le premier texte connu, parvenu jusqu’à nous. Il est tiré de la XIIème tablette (prologue) de l’épopée de Gilgamesh et il daterait de 600 avant JC. Il s’agirait de copies qui auraient été préparées d’après un brouillon original datant de la période Isin Larna, c’est à dire 1950-1700 avant JC. Il se pourrait qu’il soit en réalité bien antérieur à cette date.

J’ai traduit de l’anglais la version du livre « Inanna, queen of heaven and earth » par Diane Wolkstein et Samuael Noah Kramer. A noter qu’il s’agit ici d’un travail de collaboration entre une folkloriste, conteuse et un spécialiste de l’écriture cunéiforme, éminent assyriologue. Alors évidemment, c’est une traduction d’une traduction adaptée… Je n’ai pas les compétences pour traduire le texte original. Il en reste quand même ceci :

Fragment de relief. Syrie du Nord, Mari. Aux environs de 2500 avant JC. Stéatite. Hauteur 20 cm. Musée de Damas.

Fragment de relief. Syrie du Nord, Mari. Aux environs de 2500 avant JC. Stéatite. Hauteur 20 cm. Musée de Damas.

Au cours des premiers jours, au cours des tout premiers jours,
Au cours des premières nuits, au cours des toutes premières nuits,
Au cours des premières années, au cours des toutes premières années,

Au cours des premiers jours lorsque tout ce qui est nécessaire fut amené à la vie,
Au cours des premiers jours lorsque tout ce qui est nécessaire fut nourri convenablement,
Lorsque le pain fut cuit dans les sanctuaires du pays,
Et le pain fut goûté dans les maisons du pays,
Lorsque le ciel s’est éloigné de la terre,
Et la terre s’est séparée du ciel,
Et le nom de l’homme fut fixé ;
Lorsque le Dieu Ciel, An, eut remporté les cieux,
Et le Dieu Air, Enlil, eut remporté la terre,
Lorsque, à la Reine du Grand Au-Dessous, Ereshkigal, fut donné le monde-d’au-dessous pour domaine.

Il fit voile, le Père fit voile,
Enki, le Dieu de la Sagesse, fit voile vers le monde-d’au-dessous.
De petites tempêtes de pierres furent lancées contre lui ;
De gros grêlons furent jetés violemment contre lui ;
Telles les tortues qui chargent,
Elles se ruèrent sur la quille du bateau d’Enki.
Les eaux de la mer dévorèrent la proue de son bateau tels des loups ;
Les eaux de la mer frappèrent la poupe de son bateau tels des lions ;

À ce moment, un arbre, un seul arbre, un arbre-huluppu
Fut planté sur les rives de l’Euphrate.
L’arbre fut nourri par les eaux de l’Euphrate.
Le Vent du Sud tourbillonnant se leva, tirant sur ses racines
Et arrachant ses branches
Jusqu’à ce que les eaux de l’Euphrate l’emportent.

Une femme qui craignait la parole du Dieu Ciel, An,
Qui craignait la parole du Dieu Air, Enlil,
Ramassa l’arbre dans la rivière et dit :

« J’emporterai cet arbre à Uruk.
Je planterai cet arbre dans mon jardin sacré. »

Inanna prit soin de l’arbre avec sa main.
Elle arrangea la terre autour de l’arbre avec son pied.
Elle s’interrogea :

« Combien de temps faudra-t-il jusqu’à ce que j’ai un trône resplendissant sur lequel m’asseoir ?
Combien de temps faudra-t-il jusqu’à ce que j’ai un lit resplendissant sur lequel m’étendre ? »

Les années passèrent ; cinq ans, puis dix ans.
L’arbre devint large,
Mais son écorce ne se fendit pas.

Puis un serpent qui ne pouvait être charmé
Fit son nid dans les racines de l’arbre-huluppu.
L’oiseau-Anzu plaça ses petits dans les branches de l’arbre.
Et la sombre jeune fille Lilith bâtit sa maison dans le tronc.

La jeune femme qui aimait rire pleura.
Combien pleura Inanna !
(Pourtant, ils ne quittèrent pas son arbre.)

Tandis que l’oiseau commença à chanter à l’arrivée de l’aube,
Le Dieu Soleil, Utu, quitta sa chambre à coucher royale.
Inanna appela son frère Utu, en disant :

« Ô Utu, du temps où les destins furent édictés,
Lorsque l’abondance inonda le pays,
Lorsque le Père Ciel prit les Cieux et le Dieu Air la terre,
Lorsque Ereshkigal reçut pour domaine le Grand Au-Dessous,
Le Dieu de la Sagesse, le Père Enki, fit voile vers le monde-d’au-dessous,
Et le monde-d’au-dessous se leva et l’attaqua…

A ce moment là, un arbre, un seul arbre, un arbre-huluppu
Fut planté sur les rives de l’Euphrate.
Le Vent du Sud tira sur ses racines et arracha ses branches
Jusqu’à ce que les eaux de l’Euphrate l’emportent.
J’ai ramassé l’arbre dans la rivière ;
Je l’ai apporté dans mon jardin sacré.
J’en ai pris soin, attendant mon trône et mon lit resplendissants.

Puis un serpent qui ne pouvait être charmé
Fit son nid dans les racines de l’arbre,
L’oiseau-Anzu plaça ses petits dans les branches de l’arbre,
Et la sombre jeune fille Lilith bâtit sa maison dans le tronc.
J’ai pleuré.
Combien ai-je pleuré !
(Pourtant, ils ne quittèrent pas mon arbre!) »

Utu, le vaillant guerrier, Utu,
Ne voulut pas aider sa sœur, Inanna.

Tandis que les oiseaux commençaient à chanter à l’arrivée de la deuxième aube,
Inanna appela son frère Gilgamesh, en disant :

« Ô Gilgamesh, du temps où les destins furent édictés,
Lorsque l’abondance inonda le pays,
Lorsque le Père Ciel prit les Cieux et le Dieu Air la terre,
Lorsque Ereshkigal reçut pour domaine le Grand Au-Dessous,
Le Dieu de la Sagesse, le Père Enki, fit voile vers le monde-d’au-dessous,
Et le monde-d’au-dessous se leva et l’attaqua…

À ce moment là, un arbre, un seul arbre, un arbre-huluppu
Fut planté sur les rives de l’Euphrate.
Le Vent du Sud tira sur ses racines et arracha ses branches
Jusqu’à ce que les eaux de l’Euphrate l’emportent.
J’ai ramassé l’arbre dans la rivière ;

Je l’ai apporté dans mon jardin sacré.
J’en ai pris soin, attendant mon trône et mon lit resplendissants.

Puis un serpent qui ne pouvait être charmé
Fit son nid dans les racines de l’arbre,
L’oiseau-Anzu plaça ses petits dans les branches de l’arbre,
Et la sombre jeune fille Lilith bâtit sa maison dans le tronc.
J’ai pleuré.
Combien ai-je pleuré !
(Pourtant, ils ne quittèrent pas mon arbre!) »

Gilgamesh le vaillant guerrier, Gilgamesh,
Le héros d’Uruk, se tint aux côtés d’Inanna.

Gilgamesh attacha autour de sa poitrine son armure de cinquante mines.
Les cinquante mines pesaient pour lui aussi peu que cinquante plumes.
Il leva sa hache de bronze, la hache de la route,
Pesant sept talents et sept mines, sur son épaule.
Il entra dans le jardin sacré d’Inanna.

Il frappa le serpent qui ne pouvait être charmé.
L’oiseau-Anzu s’envola, avec ses petits, vers les montagnes ;
Et Lilith détruisit sa maison et prit la fuite vers des lieux sauvages, inhabités.
Gilgamesh libéra les racines de l’arbre-huluppu ;
Et les fils de la cité, qui l’accompagnaient, coupèrent les branches.

Du tronc de l’arbre il sculpta un trône pour sa sainte sœur.
Du tronc de l’arbre Gilgamesh sculpta un lit pour Inanna.
Des racines de l’arbre elle façonna un pukku pour son frère.
De la couronne de l’arbre Inanna façonna un mikku pour Gilgamesh,
le héros d’Uruk.

Lilitû, l’hiérodule d’Ishtar

Siegmund Hurwitz, dans son livre Lilith, the first Eve, présente Lilith sous deux aspects spécifiques. Le premier est relié à la déesse et démone Lamasthû dont j’ai déjà parlé dans un billet précédant. Le second à la déesse Inanna – Ishtar. C’est ce dernier qui est, à mes yeux, le plus intéressant. Peut-être le point de départ pour tout ceux qui cherchent à construire un culte moderne et personnel à Lilith. Ici, elle représente la jeune fille délurée, libre sexuellement, mais surtout elle est celle qui connait les secrets de la sexualité sacrée, de l’hiérogamie, et ce, même avec n’importe quel étranger puisque capable de voir le Divin en lui !

Lilith, l’hiérodule d’Ishtar (image : Libellune).

Voici la première partie de la traduction. Les autres suivront. Enjoy !

À l’instar de son aspect « Lamashtûien » (de la déesse démone Lamasthû), c’est à dire, en outre son rôle de démone voleuse d’enfant, infanticide et de redoutable mère dévorante, Lilith manifeste une caractéristique totalement différente. Cet autre trait (qui apparaît plus tardivement et qui fait presque totalement défaut à Lamasthû) correspond à son rôle de déesse qui détourne les hommes du droit chemin et les séduit. C’est Ishtar, une autre déesse babylonienne qui personnifie davantage ce rôle. En effet, dans la mythologie babylonienne, cette déesse est quasiment le prototype de la grande séductrice, nous pouvons également parler chez Lilith, d’un aspect « Ishtarien ».

Contrairement à Lamashtû, Ishtar n’a pas une personnalité claire, nettement définie. Elle est beaucoup plus vague, beaucoup plus énigmatique, et a acquis différents traits, en fonction de la région où elle était vénérée. Elle aussi a des aspects de la grande déesse-mère, mais comme reine des cieux, elle est l’opposée totale de la Lamasthû chtonienne. A travers tout l’Orient, elle est la déesse de l’amour sensuel, de la luxure et de la séduction. Par conséquent, elle est la déesse tutélaire des prostitués et surtout des prostitués du temple (Hiérodules) qui servent son culte. Lilitû, également, est décrite dans un texte babylonien comme une prostituée du temple d’Ishtar. Cette caractéristique particulière se trouve déjà dans des textes sumériens plus anciens (1) dans lesquels Inanna (qui correspond à l’Ishtar babylonienne) a envoyé Lilitû, la belle et séduisante prostituée, non mariée, dans les rues pour raccoler les hommes et les dévoyer. C’est pourquoi Lilith est aussi appelée « la main d’Inanna ».

Les Hiérodules qui servent Ishtar sont presque toujours nommées ishtaritûs, c’est à dire, les femmes qui appartiennent à Isthar. Par ailleurs, Ishtar elle-même est appelée qadisthu, c’est à dire, la prostituée sacrée. En Israël antique, le temple des prostituées était appelé qedeshot, c’est à dire, femmes sacrées. A l’origine, le mot hébreu q-d-sh signifiait quelque chose comme « isolé » (en particulier de la sphère profane, et appartenant au sacré). De là, provient le deuxième sens du mot et s’applique à quelque chose de « saint ».

Les cérémonies orgiaques avaient souvent lieu dans le cadre du service d’Ishtar. Hérodote (*) rapporte qu’en Babylonie toute les vierges devaient se donner une fois dans leur vie à un étranger et sacrifier leur virginité en échange d’une somme d’argent. Cependant, ceci n’était considéré en aucune manière comme de la prostitution car l’étranger représenté manifestement le dieu. Alors que l’étranger couchait avec elle, cette consommation devenait un hieros gamos (mariage sacré), à travers lequel la vierge était symboliquement consacrée comme épouse du dieu.

Aphrodite Parakyptusa est une autre prostituée liée à Ishtar, vénérée à Chypre en particulier, qui s’accoude à sa fenêtre afin d’attirer des amants. De telles représentations de femme à la fenêtre étaient très répandues à travers tout l’Orient. Les gravures d’ivoire phéniciennes tout particulièrement bien connues ont été découvertes à Arslan Tash, Nimrud et Khorsabad. En Babylonie, la déesse en question est appelée Kilili mushirti, c’est à dire, celle qui se penche à la fenêtre. De temps à autre, elle est aussi appelée « la reine des fenêtres ».

Notes de bas de page

(1) S. H. Langdon : Tammuz und Ischtar. Oxford, 1914, p. 74. (Téléchargeable en anglais sur ce site !)

(2) LVTL (lexicon in veteris testamenti libros par Ludwig Koehler et Walter Baumgartner),  cf. q-d-sh

(3) Hérodote : Hist. I 199

(4) J. Gray : Mythologie des Nahen Ostens. Wiesbaden, 1969, p. 69 ; J. Thimme : « Phönizische Elfenbeine in Karlsruhe » in Antike Welt. Zeitschirft ür Archäologie und Urgeschichte. Feldmeilen, 1973, Vok IV, p. 23

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(*) Note personnelle

L’éminent assyriologue, Jean Bottéro, souligne, dans son article L’amour à Babylone pour le magazine « L’Histoire », la méprise d’Hérodote. Je cite :

Ces officiants de l’amour « libre » étaient apparemment nombreux, surtout autour de certains temples. Le bon Hérodote (I, 199) s’y est trompé : surpris de voir tant de créatures offrir à l’encan leurs services, il a cru comprendre qu’il s’agissait de « toutes les femmes du pays » obligées, par une « coutume honteuse », de s’y prêter au moins « une fois dans leur vie »…

L’article entier est passionnant, je vous le recommande chaudement ! On peut le lire sur Google Books.

La Lilith de l’Arbre Creux, un conte

Voici comme promis la traduction d’un conte extrait du livre « Lilith’s Cave » dont j’ai parlé dans mon article précédant. Le titre original est « The Demon in the Tree ». Pour l’instant, c’est mon conte favori mais je n’ai pas encore terminé le recueil, même si je le dévore.

Il est intéressant de noter quelques messages dans ce texte. Je pense notamment au chiffre 3, représenté par le trio mari / femme / démone mais surtout par la troisième épouse. Le trois est associé dans la kabbale à la lettre ג, guimel. Guimel représente celui qui fait acte de charité, qui est un bienfaiteur. Dans le conte en question, la troisième épouse est une bienfaitrice pour la démone. Cette troisième épouse, issue d’une famille très pauvre, est quelqu’un de généreux et nourrira la démone qui vit dans l’arbre creux.

 » Pourquoi est-ce que Beth précède Guimel, et Guimel lui tourne le dos ?  » Parce que Beth représente Bayith, la maison qui est ouverte à tous. Guimel représente le Guéver, l’homme qui voit une personne nécessiteuse se tenant à l’entrée et tournant autour pour obtenir de lui de la nourriture (Autioth de Rabbi Akiva).

Le mot Guimel provient de « guemoul » qui signifie, en hébreu, tout à la fois : donner une récompense et donner une punition. Les deux ayant la même fin : rectifier l’âme de manière à ce qu’elle mérite de recevoir la lumière divine.

Guimel est également lié au fait de mûrir, d’être sevré. C’est le processus que l’on peut observer chez le jeune homme à travers cette histoire.

Je pense aussi au fait que la démone, cette fille de Lilith, a pour maison un arbre creux. [Je passe sur la symbolique de l’arbre qui est juste énorme.] Je ne peux m’empêcher d’associer la forme de cet arbre à la lettre ב, Beth. Lettre qui désigne la maison mais dont l’ouverture sur la gauche représente aussi le Nord et le mal. Le Nord est associé à Lilith. Tzefonit est l’un de ses noms et signifie « Celle qui réside au Nord » (lire l’article sur les Deux Liliths).

Il y aurait encore beaucoup et à décortiquer mais ce sera peut-être l’objet d’un prochain article.

Voici un lien pour télécharger la version pdf du conte : La démone dans l’arbre.